Baya, Jacqueline, Noémie, Jeannine, Nathalie, Francine, Aïcha, Aïda, Baya et Martin Page. Le groupe de Doullens.
Je suis arrivé jeudi soir en gare d’Amiens, depuis Nantes en passant par Paris. Comme tous les voyages en train, celui-ci a duré 7 minutes (les trajets en avion durent tous 50 minutes, à pied c’est 3 heures, en voiture, 2 jours).
Amiens est une ville rouge, en briques m’a-t-on dit, mais je crois plutôt que ce sont des braises.
Passage à l’association, dîner. Un clignement d’œil après, je suis dans mon lit et je dors.
Le matin, je fais disparaître la brioche dans ma bouche : je commence toujours mes journées par un tour de magie. On m’accompagne au lieu de rendez-vous. La voiture file sur les routes bordées de braises.
La rencontre a lieu dans une maison des jeunes qui était autrefois une école. Parfois ça arrive : honteuses de leur délinquance, les écoles changent, elles suivent des formations et elles deviennent des lieux où on n’humiliera pas.
On se présente, tous timides, nous avons la même nationalité aujourd’hui. Je n’ai pas envie de jouer à l’écrivain, je suis là pour me laisser porter par l’incroyable réaction chimique créée par cette douzaine de personnes autour d’une table. Je rappelle quand même cette vieille vérité d’enfance : nous sommes des êtres créatifs. Le pétrole, l’or, les diamants, ce n’est rien comparé à nous.
Il y a une dizaine de femmes, les hommes sont les vrais timides, ils se cachent.
Café servi (on dirait du charbon liquide et tiède), gâteaux. C’est une rencontre arrangée, on est un peu comme dans une pièce de théâtre, mais c’est ce qui permet de dire des choses de soi. Tout y passe : les enfants, le travail, la santé, le couple, le nouveau président, les Restos du cœur, le RSA, le prix de l’essence, l’amour. En pointillé chacun expose sa philosophie du quotidien. Nous sommes devenus des planètes, il y a un système solaire qui vient de naître. Ce que dit une femme sur le couple va provoquer une réaction chez une autre, puis ça me fait penser à un souvenir concernant mon père, puis une femme va nous parler de sa mère, une autre de son enfant. Nous sommes touchés les uns par les autres. Tout est familier. Leurs douleurs rentrent comme les pièces d’un puzzle dans mon esprit. Nous sommes étrangers à nous-mêmes, jamais aux autres. En nous écoutant, nous nous comprenons mieux.
Nous naissons avec mille bras et mille coeurs. Nous n’arrêtons pas d’en perdre tout au long de notre vie. Mais nous sommes une forêt qu’on ne vaincra pas. On nous déforeste sans cesse, c’est douloureux, mais nous sommes vastes, personne n’arrivera à bout de nous.
L’apaisement viendra quand on pourra dire : c’est du passé donc ce n’est pas vrai. Ce qui compte c’est maintenant. On comprendra alors qu’il faut être fidèle aux blessés, mais pas aux blessures.
Nous arrivons toujours à rire. C’est la plus belle manière de désobéir au malheur. Se moquer de la réalité est un geste politique.
Plus que jamais je suis fier de cette beauté qui réside dans nos maladresses, nos hésitations, nos failles et nos imperfections. La beauté est partout tout le temps et chez tout le monde.
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