Jean-Jacques Reboux, avec Jeanne Petit-Noé, Sarah Cadran, Perrine Droite, Paul Monié, Steven Carême, Alexis Bailly, Marie-Thérèse Damay et Marie-Charlotte Denorme.
– Monsieur ?
– Un gâteau aux carottes, s’il vous plaît.
– On fait pas ça, monsieur.
– C’est embêtant.
– Désolé. Ici c’est une boulangerie, pas le bazar des lapins…
– C’est du racisme anti-lapins ! J’exige mon gâteau aux carottes !
– Ça suffit, monsieur.
– J’écrirai au président des lapins !
– Et moi j’en parlerai à mon cheval !
– Vous savez pourquoi la maison d’à côté est fermée depuis vingt ans, mademoiselle ?
La vendeuse s’impatientait.
– Ah, ah, ça la démange ! Va me chercher un gâteau aux carottes et je te raconterai les horreurs de cette foutue baraque…
La vendeuse, curieuse comme une pie, écouta le maboule.
Quelque chose de terrible s’y était passé. Personne ne savait quoi. Par le trou de la serrure, on voyait des boiseries vermoulues, des toiles d’araignée effrayantes, des cadavres desséchés de bestioles. En tendant l’oreille, on pouvait parfois entendre des cris. Personne n’avait pu y entrer, les fenêtres étaient murées avec des parpaings. Sauf Mathis et Lulu. Ils l’avaient écrit sur leur page Facebook, racontant juste leur intention de passer par la cheminée. Le lendemain, on retrouvait leurs corps écrabouillés sur la voie ferrée, et ce n’était pas le Paris-Calais qui leur avait crevé les yeux…
La dernière occupante de la maison s’appelait Gertrude. Elle était vétérinaire et détestait les animaux. Au lieu de les soigner, elle les tuait d’une piqûre de cyanure. Personne ne s’était douté de rien. Aux maîtres pleurant leur bête, elle disait ne pas comprendre. Personne ne s’était jamais plaint car elle jouait admirablement la comédie. Elle leur proposait de pratiquer une autopsie sur le corps de leur animal chéri et, dans le laboratoire aménagé dans la cave, se livrait à d’horribles mutilations, cousant la queue d’un lézard sur un chat, la carapace d’une tortue sur un chien, le museau d’un bouledogue sur un rat, la tête d’un pigeon sur un lapin… Cela dura des années, en toute impunité. Des dizaines de bêtes étaient mortes ici. Et puis, un jour, plus personne n’avait revu la folle… On murmurait qu’elle s’était emmurée dans la cave en compagnie des squelettes de ses petites victimes. Des années après sa mort, le fantôme de Gertrude la faiseuse de monstres hantait la maison pour l’éternité.
Dans la boulangerie, la file de clients était médusée.
– Mais vous allez vous taire, à la fin ! cria une dame. C’est bientôt fini ces histoires à dormir debout !
– C’est pas des histoires à dormir debout, ma p’tite dame, répondit le maboule en sortant de son sac un étrange animal tout rapiécé.
La tête était celle d’un hamster, les oreilles celles d’un lapin, le corps celui d’un chiot, les pattes avant possédaient des griffes de chat, les pattes arrière des palmes de canard et une nageoire de poisson lui tenait lieu de queue.
– Qu’est-ce que c’est que cette horreur !
– Je vous présente Aquakaouik. Dieu merci, son âme s’est envolée au paradis il y a bien longtemps, ah, ah, ah !
Le maboule se mit à rire puissamment, et à l’heure qu’il est, si vous allez faire un tour du côté de la boulangerie Gauche, dans le quartier de Hem, avec un peu de chance vous l’apercevrez déambulant revêtu de ses hardes en peaux de bêtes…
> Ecoutez la lecture du texte en cliquant sur la flèche ci-dessous (cela peut prendre quelques secondes à charger)
A la suite de l’attaque d’un virus, les fichiers audio sont indisponibles. Ils seront prochainement rétablis.
[mp3j track=”REBOUX.mp3″ title=”La maison d’à côté”]