Les 11, 12 et 13 mai 2012, Leitura Furiosa fêtera ses 20 ans. Ce sera pareil, mais différent. Comme d’habitude.
Car à Leitura Furiosa, ce sont l’écoute et l’échange qui priment, et quand on écrit, c’est d’abord avec les oreilles.
D’abord, parce que Leitura Furiosa, c’est fondamentalement différent. Vous pourrez toujours chercher l’équivalent ailleurs, vous ne trouverez pas, il n’y a que là que ça se passe comme ça, une fois par an, depuis vingt ans.
Cette manifestation unique se déroule en même temps à Amiens et sa région (Abbeville, Albert, Beaucamp-le-Vieux, Cayeux-sur-Mer, Chépy, Neuville Coppegueule, Doullens, Flixecourt, Friville-Escarbotin, Liomer, Longueau, Montdidier, Moreuil et Rue), et au Portugal, à Beja, Porto et Lisbonne. Pendant trois jours, près de 400 fâchés avec la lecture, l’écriture et la société vont rencontrer l’un des 50 écrivains invités. De ce rapprochement de pôles que l’on pourrait croire opposés vont fuser de nouvelles pages de littérature. Par une subtile alchimie nourrie de partage et de confiance, les mots livrés par les uns prendront corps noir sur blanc sous la plume des autres. Car à Leitura Furiosa, ce sont l’écoute et l’échange qui priment, et quand on écrit, c’est d’abord avec les oreilles.
Cette année, Leitura Furiosa fêtera 20 ans d’écoute, d’échange et d’écriture. 20 ans, c’est important, mais qu’est-ce que ça change ? Si c’est aussi différent que de fêter les 2, 7, 10 ou 15 ans de n’importe qui, il s’agit pourtant toujours bien de la même personne.
Alors si Leitura Furiosa fête ses 20 ans, c’est en tant que manifestation mouvante et vivante qui grandit chaque année, rassemblement où l’on peut se retrouver avec plaisir tous les ans, entre petits nouveaux qui deviendront revenants, habitués ou vétérans. On savourera aussi cet anniversaire parce que, depuis deux décennies, Leitura Furiosa tisse un riche réseau et nous offre une forme de continuité précieuse dans une vie prise par le petit bout de la lorgnette, faite d’instants décousus et d’existences à la minute.
Autant dire que pour ses vingt ans, Leitura Furiosa a prévu une édition spéciale… comme toutes les autres. En plus des nouvelles nouvelles composées cette année, affichées dans la Maison de la culture, publiées ici dans ce nouveau site web et présentées sur la scène du Grand Théâtre, de nombreux ateliers seront proposés autour des mots, des lettres et de l’invention : calligraphie, typographie, portraits troqués contre une lecture, création de bandes dessinées, salons de lecture avec lecteurs à disposition, dialogues à imaginer accompagnés de marionnettes… Certains écrivains accepteront également de jouer le jeu de l’interview en répondant à des groupes ayant déjà participé à Leitura Furiosa, histoire que ce ne soient pas toujours les mêmes qui posent les questions tranquilles derrière leur calepin.
Leitura Furiosa fêtera chacune de ses vingt années les 11, 12 et 13 mai : elle vous attend.
Vendredi 11 mai
Leitura Furiosa n’est pas un atelier d’écriture, mais un terreau, un chantier de parole.
Le matin, des auteurs venus d’un peu partout se retrouvent à Amiens pour entamer un nouveau voyage. On les répartit un par un ou par lots dans la ville ou la région pour les confier à des groupes avec lesquels ils vont partager la journée. Certains investiront des bibliothèques, d’autres des classes ou des foyers, d’autres encore iront se promener pour faire connaissance et tisser les liens de ce premier échange. Car tout part de cette rencontre et du dialogue qui va s’installer entre les furieux de la lecture et ceux dont écrire est le métier.
Rencontre, échange, dialogue… Leitura Furiosa n’est en effet pas un atelier d’écriture, mais plutôt un terreau, un chantier de parole. Alors on va discuter, écouter, noter, collectionner des phrases, des impressions, des fragments qui petit à petit, plus ou moins consciemment, vont former la trame de l’histoire à venir. Le texte ne sera pas non plus une restitution de cette rencontre que l’écrivain viendrait simplement consigner, plutôt une porte vers l’imaginaire que tous ces mots auront ouverte, une manière de faire surgir la poésie dans les mots du quotidien.
À la fin de la journée, on se sépare et les écrivains se retrouvent confrontés au drôle de silence de l’écriture après le flot de paroles. Sauf bien sûr s’ils composent à voix haute chez leurs hôtes ou s’ils ont choisi d’aller taper leurs textes au Cardan en bonne compagnie, histoire de prolonger la rencontre et d’éviter le face-à-face solitaire avec l’écran après cette journée d’échanges.
Et doucement dans la soirée, furieusement dans la nuit, les écrivains cherchent l’équilibre d’un récit qui vient saisir sans la figer la parole vive, qui tente de proposer une voix pour rejouer la polyphonie du groupe sans en changer les accords, qu’ils aient choisi d’en deviner les désirs, d’en prolonger les échos ou de naviguer parmi ses silences.
C’est là que le rôle de l’écrivain devient aussi passionnant que difficile. On lui donne la matière de son texte clefs en main, il est investi de toutes ces paroles, ces histoires plurielles et on lui fait absolument confiance. Il n’a plus qu’à écrire… Autant dire qu’il ne passera pas forcément la soirée la plus tranquille de son existence. Surtout que pour la première fois sans doute, il connaît précisément ses lecteurs, que son public a un visage et qu’il attend impatiemment ce texte qui deviendra “son” texte, même s’il ne l’a pas écrit lui-même.
Samedi 12 mai
On passe le relais et cette œuvre collective poursuit son aventure
Samedi matin, à la Maison de la culture, le groupe retrouve son écrivain qui a plus ou moins bien dormi. Tout le monde se rassemble autour du texte qu’on réinvestit et se réapproprie après l’avoir découvert, en l’écoutant, le reprenant, le critiquant, l’améliorant. Le plus émouvant c’est peut-être d’épier pendant la première lecture les réactions du groupe qui retrouve, reconnaît ou devine les paroles de la veille sous les mots du récit.
On passe le relais et cette œuvre collective poursuit son aventure sans ses auteurs pour toucher d’autres lecteurs, en commençant par tous ceux qui vont contribuer à la mettre en valeur : correcteurs, maquettistes, illustrateurs, acteurs et lecteurs. Elle emprunte doucement d’autres corps, en caractères [il me manque le nom de la police de caractère que vous utilisez], en images noir et blanc au feutre comme à l’encre de chine, en gestes et intonations qui se répètent en coulisse pour les lectures du lendemain.
Pour le déjeuner, tout le monde se retrouve au restaurant universitaire, avant de se rendre par groupes dans les librairies Pages d’encre ou Le Labyrinthe. On y prend le temps de chercher, de feuilleter les livres qui feront envie, chaque participant ayant droit à un bon pour s’offrir les lectures de son choix.
On repasse ensuite par la maison de la culture pour profiter encore des ateliers et se plonger dans l’effervescence générale autour des textes qui font encore vibrer l’endroit. On prolonge les échanges jusqu’au dîner où se retrouvent tous ceux qui contribuent à la manifestation. C’est l’occasion de partager ensemble plats, mots et idées, de savourer autrement la journée.
Dimanche 13 mai
On va, on vient, on s’interpelle, on rigole, on lit, on rêve, on imagine, on écrit, on chuchote, on chahute : c’est ce qu’on appelle un joyeux bordel.
Leitura tient sa parole, et la parole son pari : la poésie née des échanges du vendredi investit le cœur de la Maison de la culture et de la région. Les nouvelles sont publiées dans le cahier central du Courier Picard et affichées en mètres carrés de littérature sur les murs de la MCA.
Les portes de la Maison de la culture sont grandes ouvertes pour accueillir le grand public venu découvrir les productions et participer aux ateliers qui font bourdonner les lieux. On va, on vient, on s’interpelle, on rigole, on lit, on rêve, on imagine, on écrit, on chuchote, on chahute : c’est ce qu’on appelle un joyeux bordel.
Et on se masse devant le Grand Théâtre pour assister à la première partie de lectures des nouvelles portées sur la scène par des lecteurs et des comédiens. Ces lecteurs qui s’avancent sur le plateau sont souvent d’anciens participants de Leitura qui ont décidé de prendre les textes à bras-le-corps avec des papillons dans l’estomac et des fourmis dans la voix, même quand ce n’est pas la première fois.
À midi, vaste pique-nique pour manger pêle-mêle devant ou dedans la maison de la culture en fonction du temps, en attendant que les ateliers et les lectures reprennent. Puis, dans le Grand Théâtre, l’aventure continue, sur la scène comme dans la salle qui réagit aux textes encore frais parce qu’après tout on n’est pas à un enterrement, mais devant un spectacle vivant.
À la sortie s’improvisent des séances de dédicaces autour d’un verre ou près du stand du libraire. C’est bientôt l’heure de se séparer et on commence à remballer… Alors ça y est, c’est terminé ? Pas vraiment, puisque les affiches que l’on décroche trouveront leur place dans les classes, les associations, les quartiers et que les pages du Courrier Picard avec lequel on repart bruissent encore des histoires que l’on pourra reprendre ou redécouvrir plus tard.
Leitura Furiosa ne se résume pas à trois petits jours et puis s’en vont : elle est le nœud visible d’un réseau de liens tissés tout au long de l’année, le point de rencontre d’acteurs et de publics engagés revendiquant le droit à la culture. Il suffit de suivre n’importe lequel de ses fils pour prendre la mesure de la toile d’ensemble, qu’il s’agisse des lecteurs sur la scène qui participent également à Ma Parole, au groupe culture ou qui ont déjà lu dans les bus d’Amiens, ou de tous ceux qui contribuent à la manifestation, professionnels comme bénévoles, que l’on retrouve dans les bibliothèques de rue, les ateliers d’apprentissages de base, les groupes de réflexion, etc. Il y a aussi tout ce qu’on ne voit pas, comme la manière dont Leitura Furiosa a évolué en Afrique où elle se déroulait encore il y a peu, faisant le choix de changer pour s’ouvrir à d’autres formes d’action, comme la création de bibliothèques de rue.
Voilà, c’est ça Leitura Furiosa. Et plus encore.
Alors qu’on voudrait tellement nous faire croire que nous ne sommes pas tous du même monde, Leitura Furiosa rassemble des gens de tous horizons dans la richesse de ses échanges et de son réseau de liens vivants. Pendant trois jours, elle réussit même à fait mentir la définition de l’utopie en offrant une maison, un territoire à ce lieu de nulle part.
Et pour ne pas conclure, revenons au début avec l’histoire des origines de Leitura Furiosa.
Culture, lecture et confiture : objets de furiosité
Leitura Furiosa fête ses 20 ans cette année, parce qu’à tous ceux qui ne connaissent pas leurs conjugaisons, elle apprend le revendicatif présent.
Leitura Furiosa est née deux fois.
La première fois, elle est sortie d’un prodigieux ennui au Salon du livre de Paris. L’ennui d’un groupe de fâchés avec la lecture se traînant dans les travées de cette grande machine, encerclés de murailles d’ouvrages inaccessibles. Parce que toutes les facilités accordées pour se rendre à ce salon du livre n’apportaient pas de solution à la difficulté première et que rester dans l’ombre des livres ne réconcilie pas avec la lecture. Même en surmontant les impressionnantes montagnes d’œuvres, en passant au-delà de ces barrières pour aller à la rencontre des écrivains installés derrière, le dialogue était perdu d’avance. Finalement, le plus important dans ces voyages au Salon du livre de Paris, c’était de passer le plus près possible de la Tour Eiffel. Alors on repartait avec un sentiment d’”andouilles bredouilles”, pour reprendre la formule de Luiz Rosas qui a imaginé d’autres échanges avec les écrivains, où les rencontres remplacent les dialogues de sourds.
C’est ainsi qu’à la faveur de la “fureur de lire” s’est formée Leitura Furiosa, déclinaison moqueuse et illettrée de la manifestation invitant les andouilles bredouilles à devenir lecteurs furieux.
En 1992, on a ainsi commencé à sortir une poignée d’écrivains de leur salon pendant deux jours pour aller à la rencontre de groupes fâchés avec la lecture, l’écriture et la société. On leur a associé des dessinateurs illustrant ces échanges. Lorsque les écrivains se sont faits plus nombreux, on a abandonné l’idée de ces tandems avant de les reprendre en les réservant à quelques groupes seulement. Au fil des ans, Leitura a grandi et va désormais sur ses 30 groupes et auteurs pendant trois jours.
Si Leitura Furiosa fête aujourd’hui ses vingt printemps, elle est passée du bon côté de ses années. Parce qu’il faut rappeler qu’il y a 20 ans, il n’était pas facile de convaincre un principal de confier ses élèves en difficulté pour cet instant à part. Rencontrer un écrivain sorti de sa tour d’ivoire était vécu comme un moment de gloire, une récompense destinée aux meilleurs élèves, un instant qui avait le parfum des livres considérés comme des prix d’excellence à ne surtout pas mettre entre toutes les mains. On a même gentiment demandé à Luiz Rosas si ce n’était pas “donner de la confiture aux cochons”. C’était oublier un peu vite que les cochons aiment aussi la confiture…
Il y a 20 ans, faire des ateliers d’écriture, mettre en lien des écrivains avec des exclus n’avait pas la même valeur qu’aujourd’hui et les financeurs se posaient la même question que ce proviseur. Alors pour ces jours de confiture, il a fallu lutter aussi beaucoup contre le découragement. Leitura avait à peine trois ans quand elle a failli disparaître. Mais, à Victorine-Authier, un gamin a traversé tout le quartier pour filer droit sur Luiz et déclarer :
— La prochaine fois, là, qu’il y a un écrivain, moi je viens !
Et il est reparti après avoir clamé son exigence, revendiqué son désir de culture.
Alors Luiz a juré :
— Ah mon cochon ! Tu l’auras ta Leitura !
Voilà comment la manifestation est née une seconde fois. Et c’est grâce à ce gamin que Leitura Furiosa fête ses 20 ans cette année, parce qu’à tous ceux qui ne connaissent pas leurs conjugaisons, elle apprend le revendicatif présent.
Alors joyeux anniversaire, Leitura Furiosa ! Et surtout, surtout : muitos anos de vida !
Texte de Lilas Nord
Association Cardan 91 rue Saint-Roch 80 000
03 22 92 03 26 lectures-cardan@wanadoo.fr
Leitura Furiosa est organisée par l’association Cardan les bibliothèques d’Amiens Métropole, la Maison de la culture d’Amiens, Bulles de théâtre, Les Tatas, l’Espace Masolo de Kinshasa, A Casa da Achada de Lisbonne, la Biblioteca de Beja, le musée Serralves de Porto, les librairies Pages d’encre et du Labyrinthe, le Pôle national du cirque et des arts de la rue, Ametis, la Briqueterie, le Musée d’Amiens et l’ESAD.
Leitura Furiosa est financé par le Conseil régional de Picardie, le Conseil général de la Somme, la DRAC de Picardie, Amiens Métropole et le FEDER.
Nous remercions le contribuable.